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On entend partout que « le tourisme pollue », que « le surtourisme est néfaste », que « l’avion a un impact carbone dramatique » et d’autres affirmations péremptoires dans le style.
Ces phrases sont prononcées et répétées par tous puis jetées à la figure des voyageurs.
D’accord, mais qu’en est-il est réellement ? Que sont les chiffres et les réalités derrière les mots tranchés ?
À l’échelle de l’humanité, les Hommes ne voyagent pas pour le plaisir depuis très longtemps. Le voyage d’agrément existe véritablement depuis le début 19e siècle. Le mot « touriste » apparait d’ailleurs dans le dictionnaire français en 1803, seulement quelques années après son apparition dans le dictionnaire anglais.
À cette époque, le touriste est simplement un voyageur qui découvre des pays étrangers dans une autre optique que pour faire des affaires, c’est-à-dire autre chose que : du commerce, de l’exploration scientifique ou du prosélytisme religieux.
Bien sûr, les nombreux cas de migration vers un monde meilleur, souvent le continent américain, ne rentre pas dans la case « tourisme ».
Tout au long du 19e siècle, le voyage d’agrément est réservé aux riches personnes. Ce n’était pas qu’une question de prix. On pense à tort que le voyage en train était ultra cher, mais l’on a la vision biaisée du voyage en train de luxe.
Evidemmeent, l’Orient Express coûtait ultra cher (environ la moitié du salaire annuel d’un ouvrier qualifié) et n’était accessible qu’aux bourses les plus remplies.
En revanche, un trajet en train classique entre deux villes par exemple distante de 100 kilomètres ne coutait pas plus de quelques francs. Le bateau non plus n’était pas hors de prix, si l’on évitait les classes les plus chères.
S’il y avait peu de touristes à cette époque, c’était que le voyage n’était pas dans les mœurs et surtout que les congés payés n’existaient pas en France avant 1936 (sauf exceptions régionales, comme en Alsace, ou les CP sont apparus dans les années 1920).
Difficile de partir en vacances si l’on en a pas la possibilité.
En 1936 donc, tout change en France, mais c’est surtout après la guerre que les Français commencent majoritairement à partir en vacances, notamment grâce à la loi de 1956 qui allonge la durée des congés payés à 18 jours ouvrables. Ce mouvement se généralise dans les autres pays d’Europe et avec le développement de la voiture individuelle, les familles circulent davantage autour de l’Europe.
En parallèle, l’aviation civile commerciale se développe de plus en plus dans les années 60 et 70, d’abord à l’intérieur des USA, puis des USA vers le reste du monde, puis à l’échelle du monde entier.
L’avion abolit les distances : partir loin n’est plus un frein en termes d’espace-temps. Le voyage se démocratise petit à petit.
Dans les années 2000 et 2010, les compagnies aériennes développent des services dit « low-cost », ce qui leur permet d’atteindre un seuil maximal de rentabilité. Pour les voyageurs, c’est un avantage : même si le service est minimal, ces trajets courts courriers et souvent intra-européen ne coûtent pas très cher.
Le voyage en avion devient accessible pour les revenus les plus faibles, ce qui augmente mécaniquement le nombre de voyageurs.
Il n’a jamais été aussi facile de se rendre à l’autre bout du monde comme dans le pays voisin.
Le train et la voiture restent aussi très utilisés par les vacanciers, ce qui fait que les flux touristiques ont augmenté de 300% sur les quinze dernières années.
Après une baisse drastique entre 2019 et 2023 à cause du Covid, le tourisme est redevenu ce phénomène de masse qu’il était avant la pandémie, et qui ne plait pas à tout le monde.
Face à la pression des populations locales, pour certaines destinations il n’est même plus question de développer le tourisme mais bien de le limiter par tous les moyens. Les autorités locales rivalisent même d’ingéniosité pour réduire le tourisme sur ces zones en tension et ainsi les protéger.
Quelles sont les techniques utilisées ?
Le démarketing n’est pas une invention nouvelle, car il est utilisé depuis les années 80 dans le domaine de la santé publique : pensez par exemple à toutes les campagnes de communication pour dissuader le consommateur de fumer ou de boire plus que la limite autorisée.
Pour le tourisme, c’est plus récent, mais tout aussi équivoque. Les méthodes sont les mêmes qu’en marketing classique, avec la règle des « 4P » (promotion, place, produit, prix) : promouvoir volontairement d’autres lieux que le site touristique majeur ; rendre le produit moins intéressant avec par exemple une photo de plage bondée ; ou encore restreindre l’accès au produit, comme en forçant à acheter son billet en ligne ou à réserver une plage horaire définie.
Pour limiter la fréquentation urbaine, les politiques locales ont parfois des idées qui sortent de l’ordinaire … et qui fonctionnent.
Lieux majeurs du tourisme en Italie, le village de Portofino et les cinq villages des Cinque Terre situés une cinquantaine de kilomètres au sud s’attaquent désormais au portefeuille des voyageurs. À Portofino, il existe depuis 2023 un arrêté municipale qui empêche justement les touristes de s’arrêter pendant leur promenade, sous peine d’une amende 275 euros. Ce décret ne concerne que certaines parties du village, appelées des « zones rouges ».
Dans les Cinque Terre, c’est carrément une amende de 2 500 euros qui peut attendre les touristes en tongs, escarpins ou sandales. Dans les deux cas, l’objectif est de réguler la fréquentation et d’éviter les touristes « stationnaires ».
La ville de Barcelone s’est par exemple volontairement tiré une balle dans le pied en 2023 en demandant à Google et Apple de … retirer de leurs services de cartographie les bus qui mènent au parc Güell. Les bus circulaient toujours, mais l’information était plus difficile d’accès.
Au Japon, à Fujikawaguchiko, non loin du mont Fuji, la commune paisible a installé à l’été 2024 une bâche de 20mètres de long sur 2.5 mètres de haut pour empêcher les touristes d’accéder au spot parfait et de s’amasser tous au même endroit pour photographier le mont Fuji. Proche d’une route passante, les touristes toujours plus nombreux chaque jour rendaient le lieu dangereux et infestés de décheets.
Cette bâche occultante a depuis été retirée, mais elle pourrait revenir : l’essai a été concluant.
Pour dissuader d’entrer les touristes, certaines villes n’hésitent à un instaurer une barrière financière à l’entrée. C’est le cas notamment de Venise, par exemple, qui a mis en place en 2024 une taxe d’entrée de cinq euros la journée pour tous les touristes d’au moins 14 ans.
Cette taxe avait été appliquée pendant 29 journées ciblées entre avril et juillet 2024, et elle avait permis de réduire légèrement l’affluence.
En 2025, les modalités évoluent, mais l’idée reste la même : la taxe coûtera le même prix, mais sera appliquée 59 jours au lieu de 29, et seuls les touristes dormant au moins une nuit sur place seront exemptés de cette taxe.
On comprend ici que Venise ne veut pas réduire tous ses touristes, mais en priorité ceux qui ne participent pas à l’économie locale (restaurants, hôtellerie, etc.).
Une autre technique très utilisées par les communes des littoraux d’Europe de l’Ouest est d’augmenter fortement le prix des parkings durant la haute saison ou de les excentrer du centre-ville pour limiter les touristes et leurs véhicules dans les zones les plus peuplées et visitées.
Le mot quota effraie, mais c’est bel et bien ce qui est utilisé dans les sites et villes touristiques majeurs. Dans les faits, il est plutôt question de jauge maximale de touristes à atteindre chaque heure et chaque jour.
À défaut de pouvoir réduire le nombre de touristes dans de larges proportions, ces sites essaient d’aplanir la courbe au maximum et de répartir les voyageurs tout au long de la journée.
L’objectif principal est d’éviter les pics de surfréquentation et que tous les touristes viennent au même moment dans les mêmes endroits.
Il est d’ailleurs plus simple d’appliquer une jauge ou un quota dans un lieu difficile d’accès et avec qu’une seule route.
La géographie joue ici un rôle majeur : les iles seulement accessibles en bateau, les calanques ou les villes particulières comme Venise ou le Mont Saint-Michel sont plus simples à contrôler que les villes ultra accessibles (Paris, Rome, Londres, etc.) où l’on peut rentrer de cinquante manières différentes.
La jauge et le quota sont souvent mélangés : une jauge maximale de visiteurs sur le site, et un quota de voyageurs par petits groupes (souvent un plafond à 20 ou 25) et par tranche horaire de visite.
C’est souvent en combinant les deux que l’on observe une réelle efficacité. Voire les trois, avec la réservation obligatoire.
D’ailleurs, on remarque que cette réservation obligatoire est entrée dans les mœurs concernant les activités culturelles. Nous y sommes tous habituées maintenant pour les musées, les concerts, les expositions, etc.
Pourtant, on tique toujours lorsqu’il est question de sites naturels et patrimoniaux. Pourquoi ?
Certaines villes se dirigent sur le terrain juridique pour lutter contre le surtourisme. Nous avons déjà parlé de la taxe de séjour de Venise, qui reste encore à ce jour la seule ville à pratiquer ce type de taxe, comme on pourrait en retrouver dans un musée ou dans un parc.
L’énergie des politiques locales se concentrent régulièrement sur le nerf de la guerre, c’est-à-dire sur les logements.
Des villes comme Paris ou New-York ont par exemple interdit les locations courtes durées type AirBnB dans certains quartiers de la ville ou les ont autorisés avec des conditions drastiques.
Florence, Dubrovnik, Amsterdam ou Barcelone ont aussi annoncé des mesures (ne plus autoriser la construction de nouveaux bâtiments hôteliers, ne pas délivrer des permis dans le centre historique, etc.) ces deux ou trois dernières années pour protéger leur parc immobilier et réduire le pourcentage de logements locatifs à courte durée.
Depuis le Covid, il a y une véritable prise de conscience en ce qui concerne l’impact négatif du tourisme. Des mesures sont prises ici et là, mais ce sont des décisions à échelle individuelle prises par des villes ou des pays, et non des lois collectives à l’échelle européenne par exemple.
Ce manque d’harmonie perd un peu le touriste, mais ces décisions sont salutaires pour assurer un avenir à certaines destinations d’un point vue économique et écologique.
Malgré tout, pour une ville qui parvient à limiter son nombre de touristes, deux voire trois autres subissent les conséquences de plein fouet.
En effet, ces solutions “miracles” ne limitent pas le nombre de touristes, elles déplacent simplement les touristes d’un lieu bondé à un autre lieu bondé.